de Perse en Iran . 2
été 1966
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... et, comme à l'aboutissement d'un grand  voyage, le grand corps du peuple s'effondre, épuisé ...
le nerf de l'ambition ne le conduit plus, spectacle déprimant des rues de la capitale,image décevante,
bilan de tant de passé, le peuple se répand à même le trottoir dans une sieste interminable
.
Dans les djoubs d'Esfahan, méchants canaux d'eau croupissante,
chaque jour des milliers de corps se détrempent, la sueur s'y mêle aux débris de vaisselle,
aux excréments des bêtes, aux odeurs de savon ...

C'est l'irrigation de la ville, l'eau du bain et la source désaltérante,

présent nauséabond qui cherche un nouveau passé, quête le reflet de l'âme antique
dans une multitude d'illusions ... et retrouve dans la spontanéité son atavisme occidental..
Tant de passé pour un si médiocre présent.
L'écrivain public qui hante les trottoirs semble dresser un constat d'échec échec des transitions,
échec des évolutions, échec de l'adaptation au monde qui galope ...
Oublions ce passé qui nous tourmente ...
le souffle d'une nouvelle ère est peut-être dans l'alliage hésitant des influences,
dans la confrontation incessante des idées, dans le côtoiement journalier de deux mondes.

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La ville livrée au béton accepte les ermites du désert, accepte les longues robes persanes
qui rappellent toute une époque ... La ville fardée de néon accepte l'image
du solitaire qui restitue la figure des mages d'antan.
La ville du 20ème siècle accepte les fantômes sinistres des femmes, épaves d'un siècle prolongé.
Et l'Iran vit dans cela, vit de cela ... dans cet hétéroclite amalgame de civilisation,
de ce charme étrange qui nimbe les rues ... où chaque pas trébuche sur l'insolite,
où l'illogisme défie le progrès ... où le portefaix nous ouvre l' horizon des bazars qui sentent l'épice.
Univers fermé vivant en aparté selon un rythme immuable, sous les voûtes inondées d'un soleil
qui laisse tomber des faisceaux de lumière en flaques étincelantes ... sur les pavés luisants des ruelles.
Foule grouillante en mornes haillons, gosses effervescents, houleux, qui se répandent en vagues déguenillées sous les néons qui marquent leur époque.
Une ville dans une ville, mais aussi, par le raz de marée des lumières un décor merveilleux tissé
dans l'ombre des échoppes ... des tableaux de génie nés des hasards, des promiscuités.
Le flot étourdissant des gadgets japonais submerge les vitrines ...
boites de plastique, cuvette de plastique, meuble de plastique, sabot 1 chausson, godillot de plastique, l'Iran avance sur une nappe de plastique ...
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  mais le savetier ne désarme pas, il a vu la mode des mules et celle des bottines,
il a râpé le bois et il a mâté le cuir.
Il y aura toujours des semelles qui s'useront dans les ornières des chemins.
 
  Dans l'entresol du boulanger, la gueule du four gobe sans cesse les pâtons de froment ...
quelques maigres bûches entretiennent la chaleur d'un tapis de gravier ...
la pâte étalée sur une longue pelle, parsemée de graines de sésame est projetée sur le lit brûlant
entre les brindilles incandescentes ...quelques instants et la galette cuite fume encore,
incrustée de cailloux.  D'un geste brusque avec la précision du réflexe le boulanger les rejette
dans le foyer.  De longues langues mordorées lui lèchent le visage.
 
  Dans la ruelle resserrée, enveloppée d'un tintamarre musical, les facettes du cuivre se distendent
sous l'enclume ... précis, retenu, modelé, le geste du dinandier recrée toute la beauté de l'art .
La matière se soumet, subit la forme, reçoit la ciselure, le burin écrit le passé et le met en image.
 
 

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